Le triple avertissement des évêques de France

 

Le Conseil permanent de la Conférence des Évêques de France a rendu publique ce lundi 13 janvier une déclaration intitulée “Aucun être humain ne peut en traiter un autre comme un objet”. Un texte écrit en raison de l’«inquiétude» des évêques face au projet de révision des lois de bioéthique dont la discussion au Sénat se prépare. Trois éléments les préoccupent particulièrement. Par Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican

En France, les prochaines semaines s’annoncent décisives en ce qui concerne le projet de loi bioéthique. Après avoir été voté à l’Assemblée nationale en octobre dernier et examiné en commission spéciale au Sénat la semaine dernière, ce projet de loi sera débattu en séance publique à partir du 21 janvier.

Mettre au premier plan la dignité de l’enfant

Le texte modifié à huis clos par les sénateurs continue de susciter l’inquiétude de l’épiscopat français. Dans sa déclaration, le conseil permanent de la CEF se concentre sur trois points susceptibles d’engager «encore davantage notre société française dans des contradictions insolubles.  S’ils étaient adoptés définitivement, ils témoigneraient d’une grave méprise quant à ce qu’est l’éthique, méprise qui, si elle n’était pas clarifiée, serait de l’ordre de l’insouciance pour l’avenir», expliquent les évêques.

 

Ceux-ci remettent d’abord en cause la notion de «projet parental», auquel la loi soumettrait l’engendrement par Procréation Médicalement Assistée (PMA) d’un nouvel être humain. «Le pouvoir ainsi reconnu aux parents ne risque-t-il pas de devenir absolu? Comment le projet de loi va-t-il exprimer la pleine reconnaissance du droit de l’enfant qui est une «personne»?», interroge le conseil permanent de la CEF, qui redoute une insuffisante prise en compte «de la dignité de l’enfant». «Le respect de l’enfant devrait être la considération première», insiste-t-il.

Une liberté démocratique en danger

Les évêques français déplorent ensuite l’impossibilité de recourir à l’objection de conscience «pour ceux et celles, les notaires par exemple, qui se refuseraient, en conscience, à être engagés malgré eux dans la réalisation de cet “invraisemblable”». Le projet de loi légaliserait en effet la filiation sans père ni ascendance paternelle et de la maternité par simple déclaration de volonté, devant le notaire, «sans que la femme vive la gestation». L’épiscopat dénonce un «engrenage» dans lequel est entrainé la société, alors même que la République française «est basée sur le respect de la conscience». D’où cette interpellation: «Sans une telle expression dans la loi du respect de la conscience de chacun, n’irions-nous pas vers la mise en place d’une police de la pensée, contraire à notre liberté démocratique ? ».

Le risque de l’eugénisme

Enfin, le conseil permanent de la CEF met en garde contre un «“eugénisme libéral”, dépendant de la décision des parents potentiels ou du parent potentiel», en raison de l’extension du diagnostic pré-implantatoire. Cette démarche ouvrirait la voie «à une sélection accrue des enfants à naître, sélection que notre pays professe pourtant de refuser en souhaitant une société inclusive», notent les évêques, qui ont été interpellés par des parents d’enfants handicapés «sur la “déshumanisation” que produirait un tel tri sélectif». «Vouloir l’enfant sans aucun variant génétique est non seulement une illusion, mais ce serait aussi “déshumaniser” notre      humanité ! », peut-on lire.

La CEF pointe finalement « la fuite en avant dans laquelle sont prises nos sociétés occidentales […]: les désirs individuels y sont exacerbés par l’apparente satisfaction que la conjonction des techniques médicales et juridiques semble promettre ». Les évêques terminent leur message par une touche d’espoir, en remerciant ceux « qui prennent au sérieux les enjeux de la loi en discussion », en saluant « les parlementaires qui travaillent à mettre de la lucidité et du bon sens éthique à propos de l’humain dans le texte de la loi ». Ils encouragent aussi « les citoyens inquiets à faire connaître leurs réserves et à exprimer leurs points de vue », alors qu’une nouvelle manifestation contre le projet de loi est prévue à Paris ce dimanche 19 janvier.

« Nous redisons que tout enfant humain est appelé à grandir dans le déploiement de sa liberté et dans le respect de sa dignité, en communion avec tous les autres, et cela tout au long de sa vie, quelle que soit son origine ethnique ou sociale, sa religion ou son absence de religion et son orientation sexuelle», concluent-ils.

L’examen du texte en séance publique au Sénat aura lieu du 21 au 23 janvier, puis du 28 au 30 janvier. Le vote du projet de loi est prévu le 4 février, avant que le texte ne retourne à l’Assemblée nationale pour la deuxième lecture.

 

Lettre ouverte de Mgr Bataille, évêque de Saint-Etienne

aux parlementaires de la Loire

 

Chère Madame, cher Monsieur,

Permettez-moi de vous partager ma sidération à la lecture de la dernière mouture du projet de loi de bioéthique. Vous trouverez ci-joint une note de la Conférence des Évêques de France qui n’est pas une expression religieuse mais une réflexion de bon sens devant la gravité des projets annoncés.

Comment peut-on valider la « méthode ROPA », par laquelle une femme donne un de ses ovocytes qui, une fois fécondé par un spermatozoïde, est réimplanté dans l’utérus de sa compagne afin qu’elles soient toutes les deux « mères », gommant ainsi totalement l’existence du père ? La Convention internationale des droits de l’enfant de l’ONU, ratifiée par la France, stipule que tout enfant a « dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux » (art 7-1).

A l’époque où l’on perçoit davantage les enjeux écologiques, comment peut-on autoriser la modification génétique des embryons humains, ouvrant ainsi la porte à la naissance d’enfants transgéniques ?

De même, comment peut-on permettre la fabrication d’embryons chimères homme-animal, par insertion de cellules-souches humaines dans des embryons d’animaux ?

Enfin, comment peut-on valider le principe du « bébé médicament », embryon créé en vue d’utiliser ses cellules pour soigner un frère ou une sœur ?

La liste des aberrations est encore longue… Certains parmi vous en sont bien conscients, et je les remercie de leurs réactions, parfois très courageuses. J’ose croire à un sursaut de conscience de la part de tous, face à la pression de lobbies ultra-minoritaires et d’intérêts économiques. Alors que nous voyons aujourd’hui beaucoup plus clairement les conséquences dramatiques pour notre planète et pour notre humanité d’un capitalisme débridé, comment peut-on envisager de telles dérives, plus graves encore, puisqu’elles touchent aux fondements même de notre humanité ? La capacité à se donner des limites étant un élément essentiel de la réflexion écologique, comment peut-on proposer un texte qui les fasse presque toutes sauter, sur un sujet aussi sensible ? Les lois de la société ne sont-elles pas faites pour donner à l’homme des garde-fous, pour protéger les plus faibles contre les désirs démesurés de quelques-uns ou les appétits financiers de quelques autres ? Un jour, les yeux s’ouvriront sur ce « progrès » technique qui est en fait un déni d’humanité. Nous aurons des comptes à rendre à la prochaine génération, dont les réactions seront sans concession. Il est donc de notre devoir d’alerter l’opinion publique anesthésiée. Ce projet de loi « bioéthique » n’est ni « bio », car il ne respecte pas la vie, ni « éthique », car il ne protège pas le plus fragile.

Enfin, comment se fait-il que des questions aussi fondamentales puissent être ainsi traitées en plein cœur de l’été, de manière camouflée, au milieu d’une crise sanitaire, économique et sociale sans précédent ? Pourquoi le Premier Ministre a-t-il omis d’évoquer ce sujet dans son discours de politique générale alors qu’on le présente comme une urgence au point de prolonger la session parlementaire ? Est-ce vraiment la nécessité du moment ? Un sondage IFOP réalisé entre le 12 et le 15 juin 2020 révèle que 71 % des Français pensent que ce projet de loi devrait être suspendu ou retiré, contre 1 % qui le voit comme prioritaire.

En espérant de tout cœur qu’un réveil des consciences permettra d’éviter l’adoption d’une loi inhumaine, je vous adresse, chère Madame, cher Monsieur, mes salutations respectueuses et cordiales.

Communiqué de Monseigneur Marc Aillet,

évêque de Bayonne, Lescar et Oloron

Pour un réveil des consciences

18 juillet 2020

En dépit de la crise sanitaire du coronavirus et des graves difficultés économiques et sociales qui en découlent (récession, faillites en chaîne, explosion prévisible du nombre de demandeurs d’emploi, etc.), le Président de la République a souhaité prolonger jusqu’au 31 juillet la session extraordinaire du Parlement en vue de l’examen, en seconde lecture, à l’Assemblée nationale, du projet de loi relatif à la bioéthique. Le Président de la République et le gouvernement font ainsi de l’adoption de ce texte une priorité absolue, contrairement à l’écrasante majorité de nos concitoyens qui, dans le contexte actuel, sont 71% à penser que ce projet de loi devrait être suspendu ou retiré… ou qui ne sont que 1% à considérer que la procréation médicalement assistée pour les femmes seules et les couples de femmes est une priorité, selon une enquête IFOP réalisée du 12 au 15 juin 2020 auprès d’un échantillon représentatif de 1005 personnes…

Ce parti-pris en dit long sur les présupposés idéologiques qui semblent inspirer l’action des pouvoirs publics, comme sur l’influence prédominante qu’exercent, au sein de la classe politique et des milieux dirigeants, certains lobbies, pourtant ultra-minoritaires.

Faut-il rappeler que l’ouverture, sans motif thérapeutique d’infertilité, de la procréation médicalement assistée aux femmes célibataires comme aux couples de femmes, revient à priver délibérément les enfants ainsi conçus de toute possibilité de connaître leur père et leur filiation paternelle, en dépit de la Convention internationale des droits de l’enfant de l’ONU ratifiée par la France selon laquelle tout enfant a « dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d'être élevé par eux »(art 7-1) ?

Le projet de loi bioéthique sera examiné en séance publique à partir du 27 juillet à l’Assemblée nationale, mais les travaux de la « commission spéciale bioéthique » qui viennent de s’achever ont considérablement aggravé le contenu du texte que l’Assemblée nationale avait adopté en première lecture au mois d’octobre 2019 et que le Sénat avait profondément remanié en février dernier.

Ne reculant devant aucune transgression, les « apprentis-sorciers » de la « commission spéciale » sont en effet à l’origine d’un certain nombre de dispositions, qui se traduisent incontestablement par une « rupture anthropologique majeure ».

C’est ainsi que la « méthode ROPA » (« réception des ovocytes de la partenaire »), qui consiste à féconder l’ovocyte d’une femme avant de le réimplanter dans l’utérus de sa compagne, pour que l’une et l’autre puissent être reconnues comme étant la mère du même enfant, pourrait être légalisée, au prix d’un véritable éclatement de la maternité… A moins qu’il s’agisse d’une tactique visant à minimiser la gravité de la « PMA sans père » auprès des députés pour emporter plus facilement leur adhésion !

La commission spéciale entend également autoriser la création d’embryons transgéniques, c’est-à-dire la modification génétique des embryons humains, qui risque fort d’aboutir, à plus ou moins brève échéance, à la naissance d’enfants génétiquement modifiés.

Les membres de la commission ont encore la prétention d’autoriser la fabrication d’embryons chimères homme-animal, par insertion de cellules-souches humaines dans des embryons d’animaux.

L’élargissement du diagnostic préimplantatoire (DPI), c’est-à-dire du dépistage prénatal en vue de la destruction des embryons porteurs de certaines anomalies chromosomiques (telles que la trisomie 21) serait autorisé, à des fins ouvertement eugénistes.

Dans le même esprit, la commission spéciale bioéthique de l’Assemblée nationale autorise l’autoconservation des ovocytes (sans raison médicale) afin d’inciter les femmes en âge de procréer à remettre à plus tard leur projet de maternité… par PMA. Elle valide la technique du « bébé médicament », qui consiste à permettre la naissance d’un embryon exempt d’anomalies en vue d’utiliser ses cellules pour soigner un frère ou une sœur. Elle a voté la suppression du délai de réflexion d’une semaine avant une IMG (« Interruption Médicale de Grossesse », qui peut être pratiquée jusqu’à la veille de la naissance). Elle prévoit enfin la transcription automatique à l’état civil des enfants nés à l’étranger d’une GPA (« Gestation pour Autrui »).

Dans ces conditions, qui ne serait effrayé devant une telle manipulation de l’être humain, réduit à un matériau disponible aux désirs égoïstes d’une minorité de privilégiés qui pèsent sur le marché, ou à des fins de recherche médicale, quand on prétend par ailleurs déployer tant d’énergies pour sauvegarder les espèces animales au nom de la protection de l’environnement ?

Comment ne pas manifester son indignation devant ce qui apparaît comme un passage en force, en plein cœur de la torpeur estivale, alors qu’après l’épreuve du confinement, les français sont en quête de détente et d ‘évasion ? Il est même à craindre que la psychose entretenue par la classe politico-médiatique autour d’une hypothétique deuxième vague de l’épidémie, conduisant à la mise en œuvre autoritaire de moyens disproportionnés pour lutter contre la pandémie, serve à détourner l’attention des citoyens de ces basses manœuvres politiques. Pourquoi en effet le Premier Ministre, dans son Discours de politique générale, omet-il d’évoquer le projet de loi bioéthique, alors qu’il est traité en urgence à l’Assemblée nationale ?

Faut-il que la conscience de nos contemporains soit à ce point anesthésiée pour ne plus savoir prendre la mesure de la gravité de telles transgressions destructrices de la dignité de la personne humaine, à commencer par la plus vulnérable ? Pourra-t-on longtemps encore offenser le Créateur en son dessein de sagesse et d’amour ?

Dans son encyclique « Évangile de la Vie », sur la valeur et l’inviolabilité de la vie humaine (25 mars 1995), saint Jean Paul II écrivait, en glosant l’épitre de saint Paul aux Romains : « Une grande partie de la société actuelle se montre tristement semblable à l'humanité que Paul décrit dans la Lettre aux Romains. Elle est faite d'« hommes qui tiennent la vérité captive dans l'injustice » (1, 18): ayant renié Dieu et croyant pouvoir construire sans lui la cité terrestre, « ils ont perdu le sens dans leurs raisonnements », de sorte que « leur cœur inintelligent s'est enténébré » (1, 21); « dans leur prétention à la sagesse, ils sont devenus fous » (1, 22), ils sont devenus les auteurs d'actions dignes de mort et, « non seulement ils les font, mais ils approuvent encore ceux qui les commettent » (1, 32). Quand la conscience, cet œil lumineux de l'âme (cf. Mt 6, 22-23), appelle « bien le mal et mal le bien » (Is 5, 20), elle prend le chemin de la dégénérescence la plus inquiétante et de la cécité morale la plus ténébreuse ».

« Cependant, ajoutait-il, toutes les influences et les efforts pour imposer le silence n'arrivent pas à faire taire la voix du Seigneur qui retentit dans la conscience de tout homme ; car c'est toujours à partir de ce sanctuaire intime de la conscience que l'on peut reprendre un nouveau cheminement d'amour, d'accueil et de service de la vie humaine » (n. 24).

Il ne manque pas d’hommes et de femmes de bonne volonté, dont la conscience est droite, et qui par leur témoignage, parfois héroïque, contribueront au Réveil des consciences.