Notre PèreA partir de ce dimanche 3 décembre 2017, premier dimanche de l’année liturgique, les évêques de France ont demandé qu’une nouvelle traduction de la prière du Notre Père entre en usage dans toute forme de liturgie publique. Ce texte adopté par les commissions francophones ad hoc a été approuvé par la Congrégation romaine pour le culte divin et la discipline des sacrements et élaboré en concertation avec les autres communautés chrétiennes non catholiques : ainsi le Conseil d’Églises chrétiennes en France (CÉCEF) recommande-t-il également son emploi à partir de l’Avent 2017 dans toute célébration œcuménique. Voici donc le texte que nous emploierons désormais ensemble et qu’il convient que chacun de nous mémorise, au prix d’un petit effort : l’obéissance à l’Église et la communion entre tous le valent bien, mais en lisant cet article, chacun comprendra l’enjeu et finalement la nécessité de ce petit changement.

Notre Père, qui es aux cieux, que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour. Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. Et ne nous laisse pas entrer en tentation mais délivre-nous du Mal. Amen.

Pourquoi encore changer, demanderez-vous ? D’abord, il faut nous dire que nous sommes devant un texte biblique auquel nous devons la fidélité la plus absolue dans sa transmission et l’obéissance la plus attentive quant à son contenu. Or, le Nouveau Testament ayant été écrit en grec, si le texte original ne pourra jamais subir aucune modification, les traductions, elles peuvent être sujettes à caution et parfois devoir se modifier en fonction de l’évolution de la langue ou du contexte. Déjà en 1966, les communautés chrétiennes avaient du s’habituer à la langue vernaculaire avec la présentation du texte français auquel nous nous étions habitués. Dès cette date un grand nombre d'évêques, de prêtres, de fidèles catholiques ou protestants saisirent l’ambiguïté de la formule « ne nous soumets pas à la tentation » et leur sens inné de la foi résistait à laisser croire que Dieu pouvait pousser l'homme au péché en le « soumettant à la tentation. » En effet, la lettre de Saint Jacques le dit clairement : « Dans l’épreuve de la tentation, que personne ne dise : ‘Ma tentation vient de Dieu’, Dieu, en effet, ne peut être tenté de faire le mal, et lui-même ne tente personne » (Jc 1, 13).

Certes Dieu peut éprouver notre foi, comme on affine l’or au feu du creuset, dit l’Écriture. C’est ainsi qu’au désert Dieu a éprouvé la foi et la fidélité de son peuple, dans sa longue marche vers la Terre Promise. Épreuve, mais non pas tentation…

La nouvelle traduction, « Ne nous laisse pas entrer en tentation », écarte donc l’idée que Dieu lui-même pourrait nous soumettre à la tentation. Car la tentation est redoutable pour le fidèle : ce n’est pas Dieu qui tente l’homme mais le « Serpent », le « Diable », c’est-à-dire celui qui veut diviser, briser l’amitié entre Dieu et sa créature.

Certes, le Christ a voulu partager avec nous cette épreuve avant de commencer son ministère public où il fut tenté au désert pendant quarante jours. La tentation n’est pas une théorie, elle est un fait, un fait concret qui touche l’expérience humaine dès les origines. Faire face à la tentation peut donc devenir une expérience importante car cela nous aide à resituer le rôle et la place de Dieu dans nos choix, face à ce qui nous semble bien et bon. « Réfléchir sur les tentations (…) est une invitation pour chacun de nous à répondre à une question fondamentale : qu’est-ce qui compte véritablement dans ma vie ? (…) quelle place a Dieu dans ma vie ? Est-ce lui le Seigneur ou bien est-ce moi ? » (Benoît XVI, Audience du 13 février 2013). En compagnie de Dieu, la tentation devient un appel à notre liberté, au discernement, à une conversion permanente. Ce combat spirituel peut donc être permis par le Seigneur, mais le Père «ne permettra pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces » (1 Co 10, 13).

Lorsque l’heure fut venue de l’affrontement décisif avec le prince de ce monde, Jésus a lui-même prié au jardin de Gethsémani : « Père, s’il est possible que cette coupe passe loin de moi » ; à plus forte raison le disciple qui n’est pas plus grand que le maître demande pour lui-même et pour ses frères en humanité : « ne nous laisse pas entrer en tentation », se souvenant que précisément au jardin des Oliviers, le Seigneur a exhorté ses apôtres : « Priez pour ne pas entrer en tentation » (Mt 26, 41 ; Mc 14, 38; Lc 22, 46).