« Il procède du Père et du Fils. »

 

Nous sommes devant l'une des affirmations les plus controversées du Credo même si nous la prononçons chaque dimanche sans sourciller car elle ne nous dit pas grand chose, à nous aujourd'hui, et pourtant...

Elle s'enracine dans une parole du Christ : « Lorsque viendra le Paraclet que je vous enverrai d'auprès du Père, l'Esprit de vérité qui procède du Père, il rendra lui-même témoignage de moi » (Jn XV 26). Le Credo du concile de Nicée (325) confirmé par celui de Constantinople (381) pourra ainsi affirmer : « Nous croyons en l'Esprit-Saint, qui est Seigneur et qui donne la vie, qui procède du Père, qui a parlé par les Prophètes, qui avec le Père et le Fils est adoré et glorifié »

D'où vient donc que les Occidentaux disent aujourd'hui : « qui procède du Père et du Fils », alors que les Orientaux s'en tiennent à la formule originaire, sans la mention du Fils (ce qui constitue entre orthodoxes et catholiques une pomme de discorde non négligeable, surtout en Orient) ?
C'est l'Église espagnole qui introduisit la première cette modification, après le concile de Tolède de 589 qui visait à réagir contre l'arianisme qui la menaçait. Cette mention du « Filioque » (traduction latine de l'ajout « et du Fils ») passa ensuite en Gaule. En atteignant Jérusalem (807) l'innovation va mettre en branle les oppositions historiques entre le patriarche de Constantinople, qui préfèrerait dire que le Saint Esprit « procède du Père par le Fils », l'empereur d'Occident (Charlemagne) qui soutient la modification et le pape, qui s'en tient à l'usage traditionnel.
Et c'est finalement Charlemagne qui l'imposa au concile d'Aix-la-Chapelle en 809, au moins pour ceux qui lui étaient soumis : Rome ne l'entérinera qu'au XIème siècle, après mûre réflexion. Mais jusqu'à ces dernières années le « Filioque » représentera pour les orthodoxes un argument pour dénoncer une modification unilatérale de la foi commune et originelle de l'Eglise et donc l'hétérodoxie (foi erronée) des catholiques, alors que les Occidentaux moins frottés de théologie et peut-être moins subtils n'y voyaient pas là de quoi alimenter une querelle...

Nous non plus et nous ne voyons pas bien le sens ni l'intérêt de toute cette histoire. Alors peut-être faut-il nous poser la question de la signification profonde de ces formules et aller un peu plus loin, ce que nous ferons au chapitre suivant !

 

Dans le cadre de la recherche de l'unité des chrétiens, parut en 1995 un document romain intitulé « Les traditions grecque et latine concernant la procession du Saint-Esprit » où l'Eglise catholique reconnaît le texte grec originel du concile de Constantinople comme la norme irréformable de la foi (d'ailleurs, en grec, on a toujours utilisé la formule traditionnelle à Rome) : dans la Trinité le Père est l'unique source.
Mais si la tradition orientale exprime d'abord le caractère d'origine première du Père par rapport à l'Esprit, la tradition occidentale quant à elle exprime d'abord la communion consubstantielle entre le Père et le Fils. « Cette légitime complémentarité, si elle n'est pas durcie, n'affecte pas l'identité de la foi dans la réalité du même mystère confessé » (Catéchisme de l'Église, n. 248).
Quel est ce caractère trinitaire que la personne du Saint-Esprit apporte à la relation même entre le Père et le Fils ? Le Père est l'amour dans sa source (2 Co 13, 13 ; 1 Jn 4, 8. 16), le Fils est « le Fils de son amour » (Col 1, 14). « L'Esprit-Saint qui a répandu dans nos cœurs l'amour de Dieu » (Rm 5, 5) est le Don éternel du Père à son « Fils bien-aimé » (Mc 1, 9 ; 9, 7 ; Lc 20, 13 ; Ép 1, 6). L'amour divin qui a son origine dans le Père repose dans « le Fils de son amour » pour exister par celui-ci dans la personne de l'Esprit. Cela rend compte du fait que l'Esprit-Saint oriente toute la vie de Jésus vers le Père dans l'accomplissement de sa volonté. Le Père envoie son Fils (Ga 4, 4) quand Marie le conçoit par l'opération du Saint-Esprit (Lc 1, 35). Celui-ci manifeste Jésus comme Fils du Père au baptême en reposant sur lui (Lc 3, 21-22 ; Jn 1, 33). Il pousse Jésus au désert (Mc 1, 12). Jésus en revient « rempli du Saint-Esprit » (Lc 4, 1), puis il commence son ministère « avec la puissance de l'Esprit » (Lc 4, 14). Il tressaille de joie dans l'Esprit en bénissant le Père pour son dessin bienveillant (Lc 10, 21). Il choisit ses apôtres « sous l'action de l'Esprit-Saint » (Ac 1, 2). Il expulse les démons par l'Esprit de Dieu (Mt 12, 28). Il s'offre lui-même au Père « par un Esprit éternel » (He 9, 14). Sur la Croix il « remet son Esprit » entre les mains du Père (Lc 23, 46). C'est « en lui » qu'il descend aux Enfers (1 P 3, 19) et c'est par lui qu'il est ressuscité (Rm 8, 11) et «établi dans sa puissance de Fils de Dieu » (Rm 1, 4). L'Esprit, tout en découlant du Fils dans sa mission, est celui qui introduit les hommes dans la relation filiale du Christ à son Père, car cette relation ne trouve son caractère trinitaire qu'en lui : « Dieu a envoyé dans nos cœurs l'Esprit de son Fils qui crie : Abba, Père ! » (Ga 4, 6). Dans le mystère du salut et dans la vie de l'Église, l'Esprit fait donc beaucoup plus que prolonger l'œuvre du Fils. En effet, tout ce que le Christ a institué – la Révélation, l'Église, les sacrements, le ministère apostolique et son magistère – requiert l'invocation constante de l'Esprit-Saint et son action pour que se manifeste « l'amour qui ne passe jamais » (1 Co 13, 8) dans la communion des saints à la vie trinitaire.